Le forum islamo-catholique raconté de l’intérieur

Premier
invité d’une série de conférences d’actualité organisée par l’Institut
catholique de Paris, le P. Jean-Marie Gaudeul a rendu compte, lundi
soir, de manière très personnelle, de la rencontre qui s’est tenue au
Vatican début novembre

«Comprendre les enjeux du 1er
forum catholico-musulman », tel était le thème de la conférence
proposée lundi 1er décembre au soir par l’Institut de science et de
théologie des religions de l’Institut catholique de Paris, qui
inaugurait une nouvelle série intitulée « Religions sur le vif »,
visant à traiter des sujets d’actualité interreligieuse.

Le P. Jean-Marie Gaudeul, qui a participé au forum qui s’est
déroulé à Rome du 4 au 6 novembre, a rendu compte devant une centaine
de personnes des débats qui s’y sont déroulés et des enjeux de
l’événement. Le premier jour, a-t-il raconté, deux conférenciers sont
intervenus.

Du côté chrétien, le secrétaire de la Congrégation pour la doctrine
de la foi, Mgr Luis Francisco Ladaria. Son exposé, qui s’appuyait
notamment sur la première Lettre de saint Jean, était « de haute volée
théologique », mais « son ton s’apparentait plus à l’enseignement d’une
doctrine à des disciples qu’au témoignage de foi présenté à un
auditoire non chrétien ».

« Cet accent dogmatique aurait pu déclencher un réflexe de
réfutation et d’argumentation parmi les auditeurs musulmans, a fait
remarquer le P. Gaudeul. Mais, à part une exception, les partenaires
musulmans ont compris que l’exposé ne visait qu’à expliquer ce qui
fondait la vie et la pensée chrétiennes. »

Un retournement

Poursuivant
son récit, il a ensuite évoqué l’intervention de Seyyed Hossein Nasr,
auteur iranien de nombreux livres sur l’islam et la mystique musulmane,
vivant actuellement aux États-Unis, qui, « sur le ton de la
conversation », a souligné des éléments de la doctrine musulmane
proches de la doctrine chrétienne sur l’amour, notamment « la primauté
de l’amour de Dieu pour nous, un amour de compassion plus grand que
l’amour d’une mère », et a conclu « que cela conduit à reconnaître que
Dieu nous envoie aimer un prochain qui est d’abord la famille, le
voisin, mais aussi la communauté islamique et, enfin, le monde entier,
toute l’humanité et toute la création, dans un effort incessant pour
dépasser toutes les frontières ».

« C’est ainsi que nous avons assisté à un retournement par rapport à la lettre des 138
qui insistait sur le commandement d’aimer Dieu, a commenté le P.
Gaudeul. La prise de conscience partagée que Dieu nous aime le premier
nous a naturellement amenés à nous interroger sur la manière de
répondre à cet amour. Dès la première journée, l’amour du prochain, qui
était – après le commandement de l’amour de Dieu – le second thème
proposé dans la lettre des 138, a ainsi surgi dans les échanges, avec
cette question : comment regarder l’autre comme Dieu le voit, avoir
pour lui le même respect que Dieu a pour nous ? »

Il a ensuite précisé que c’est au cours des échanges « spontanés,
sans précautions oratoires » qui ont suivi, qu’a surgi la question des
droits de l’homme et de la liberté religieuse. « Des évêques vivant en
pays musulmans ont témoigné des vexations ou mauvais traitements dont
souffraient les chrétiens traités de kuffâr (blasphémateurs) ou de
mushrikûn (païens), et ont dénoncé l’existence de “camps de travail”
pour étrangers en Arabie. Plusieurs musulmans sont intervenus pour
reconnaître cette injustice, en s’appuyant sur tel ou tel passage du
Coran. »

D’accord pour “combattre l’amalgame dans tous les domaines”

Avec
la même précision teintée d’humour, le P. Gaudeul a ensuite fait le
récit de la seconde journée, consacrée à la dignité humaine et au
respect mutuel. Le conférencier musulman, Abdal Hakim Murad Winter,
converti anglais, a dit son malaise, en tant que croyant européen,
devant le phénomène de la sécularisation en Europe, indiquant qu’il
préférait vivre dans une société chrétienne que dans une société
sécularisée.

« Cette intervention comme celle du professeur Botturi, enseignant
à l’Université catholique de Milan, a suscité un vif débat, a-t-il
expliqué. Certains ont souligné qu’il ne fallait pas confondre
sécularisation et sécularisme, et les chrétiens comme un bon nombre de
musulmans ont défendu l’idée d’une société où l’État est neutre mais où
la religion a de la valeur. » Faisant la synthèse des interventions, il
a ensuite souligné qu’« une certaine convergence de vues » s’était peu
à peu dessinée.

« Chrétiens et musulmans étaient d’accord sur la nécessité de
combattre l’amalgame dans tous les domaines : face aux musulmans qui
confondent Occident et chrétiens, face aux chrétiens qui confondent
islam et terrorisme, et sur le devoir de défendre, ensemble, non pas le
chrétien, non pas le musulman, mais les droits de l’être humain. Ce qui
a amené une dernière question : comment transmettre à nos communautés
ce souci d’une recherche commune du bien de tout être humain ? Comment
aller de l’avant et, en même temps, ne pas nous couper de nos
communautés ? »

Toute la nuit pour parvenir au texte final

Pour
conclure, le P. Gaudeul a raconté comment le projet de communiqué,
préparé à l’avance, mais « squelettique », avait été remis en chantier
par deux groupes de trois délégués qui ont travaillé toute la nuit pour
parvenir à la déclaration finale,
et en a souligné les points essentiels : respect de la personne et de
ses choix dans les domaines de la conscience et de la religion, et
droit de pratiquer en public ; nécessité de travailler ensemble pour
lutter contre un système financier mondialisé qui écrase les pauvres ;
nécessité de former les jeunes qui vont de plus en plus vivre dans des
sociétés multiculturelle et multireligieuses.

Interrogé sur ce que pouvait changer un tel colloque, le P. Gaudeul
a rappelé que les participants n’étaient pas des politiques, n’avaient
pas de compétence pour changer les lois des pays dont ils provenaient,
mais qu’ils se sentaient le devoir de faire entendre à l’opinion et aux
politiques que les mentalités devaient changer, et, avec les
mentalités, les lois.

« Comme un refrain, a-t-il précisé en conclusion, est revenue
l’idée que nous vivons dans un monde de violence, d’amalgames, que nous
devions y faire face et que ce ne serait pas facile. Mais, et c’était
un autre refrain, nous n’avions pas le choix, nous étions embarqués
ensemble dans ce monde tel qu’il est. Il n’y avait pas d’autre solution
d’avenir que d’apprendre à y vivre ensemble. »

Martine DE SAUTO

 

http://www.la-croix.com/article/index.jsp?docId=2358163&rubId=4078