Un voyage seulement œcuménique ? Présenté comme un « pèlerinage de la paix et de l’unité », le déplacement pontifical en Jordanie et en Israël de Benoît XVI n’en est pas moins destiné à « soutenir » les populations chrétiennes dans cette région : il revêt de ce fait une connotation nettement politique. Politique, ce périple l’est certainement en raison du contexte régional : le conflit israélo-palestinien s’exporte bien au-delà du Proche-Orient -notamment en Europe- tant dans sa dimension religieuse que séculière. La guerre en Iraq a conduit des milliers de chrétiens iraquiens à trouver refuge en Jordanie, pays lui-même composé d’une frange importante -majoritaire estiment même de nombreux spécialistes- de Palestiniens. En Arabie, la timide ouverture de la société civile voulue par le roi Abdallah -et dont pourrait à terme profiter une poignée de chrétiens- risque de n’être qu’un court répit si, après une double succession due à l’âge avancé du Prince héritier, l’actuel ministre de l’intérieur connu pour son appui aux « motawas », la police religieuse, devait accéder au trône. En Méditerranée, les coptes font toujours l’objet d’exactions en Egypte et l’islamisation rampante de la société algérienne prend facilement des chrétiens pour cible. Sans parler de ceux du Liban : le fanatisme religieux gagne du terrain à Tripoli, dans le nord du pays du cèdre où les biens immobiliers vendus par les chrétiens, parfois même invités à partir, sont systématiquement rachetés par des groupuscules musulmans radicaux.
Politique encore, l’allocution à la Mosquée al-Hussein Bin-Talal, prononcée à l’invitation du cousin du roi, à l’origine de la lettre ouverte au Souverain pontife après le discours controversé de ce dernier à Ratisbonne en 2006 : « c’est souvent la manipulation idéologique de la religion, parfois à des fins politiques, qui est le véritable catalyseur des tensions et des divisions et, parfois même, des violences dans la société » a expliqué le saint-Père. L’habile conceptualisation du propos n’ôte rien à sa signification intrinsèque. Même si le pape vante les chrétiens palestiniens pour leur « courage particulier », il en faudra probablement davantage pour rassurer et protéger l’ensemble des chrétiens d’orient, tenus aujourd’hui pour des « minorités spirituelles ». Le même discours pontifical devant le Prince Ghazi Ben Mohammed Ben Talal montre d’ailleurs l’ambivalence, voire une tentation de l’Eglise de Rome, révélatrice de sa faible marge de manœuvre : « À cet égard, nous devons noter que le droit à la liberté religieuse dépasse la seule question du culte et inclut le droit -spécialement pour les minorités- d’avoir accès au marché de l’emploi et aux autres sphères de la vie publique ». On ne saurait trouver, malgré la recommandation des Ecritures à ce sujet, meilleure approche d’une jonction du spirituel avec le temporel. Laquelle trahit une analyse de la présence des chrétiens dans cette partie du monde en terme de survie.
Le politologue réputé Gérard Chaliand n’a-t-il pas prédit la disparition dans moins d’un siècle des chrétiens du Liban ? Est-ce en réponse à cette interrogation que les Evêques du Patriarcat maronite libanais se sont depuis longtemps habitués à intervenir dans la politique du pays ? Est-ce encore pour ces raisons que l’homélie dominicale du patriarche Nasrallah Sfeir devient, dans ce domaine, une référence ? Le Liban, pourtant terre emblématique des chrétiens d’Orient « pourrait devenir dans une génération, une république islamique » : ce n’est pas un chrétien qui l’affirme mais le leader druze Walid Jumblatt, chef inquiet des menaces identitaires qui pèsent sur sa communauté. Une communauté souvent en conflit sanglant avec celle des maronites. C’est tout dire.